La frontière Palestine-Mexique

4 mai 2010 | Posté dans Mexico, Palestine
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    Jimmy Johnson, Mai 3 2010 Mondoweiss

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    Photo: marche palestiniens pour protester contre le mur d’apartheid israélien.

Les révélations de janvier à propos du Corps des ingénieurs de l’Armée des Etats-Unis qui aident à la conception et à la construction d’un autre mur/frontière autour de la Palestine, enterré, ne sont que le dernier développement d’un ensemble de rapports existant entre : le néolibéralisme nord-américain, la politique anti-drogue nationale et étrangère des USA, le racisme latino structurel aux USA, le gouvernement égyptien, l’élite au pouvoir au Mexique et l’occupation militaire israélienne de la Palestine.

Trouver ce qui relie ces différents intérêts internationaux n’est pas difficile, mais les liens entre, par exemple, le classicisme mexicain et l’aversion du président Moubarak pour la démocratie sont peut-être moins connus. La façon dont les forces d’occupation des uns peuvent fournir des outils à d’autres forces exige des liens qui méritent d’être explorée en tant que potentialité pour un combat commun entre les individus et les communautés, en s’intéressant, dans le cadre plus large du combat pour la justice, à des questions qui apparemment n’ont rien à voir.

Le gouvernement égyptien

La première partie de cette interaction concerne l’Egypte qui utilise des outils et des formations mises au point sur la frontière sud des Etats-Unis pour isoler la bande de Gaza. L’Egypte, considérant qu’un arrêt de l’occupation obtenu sous la direction du Hamas lui serait préjudiciable, poursuit une politique visant à une fermeture rigoureuse de sa frontière avec Gaza pour l’empêcher. Le régime du président Moubarak a une double motivation principale pour appuyer le siège de Gaza : 1) s’assurer que le Hamas, émanation des Frères musulmans, n’obtienne pas de nouveaux succès, et 2) jouer son rôle d’Etat vassal des USA avec les avantages – soutiens politique, militaire et économique – que cela lui apporte.

Sur le plan intérieur, Moubarak poursuit sa campagne répressive à long terme contre les Frères musulmans, qui constituent actuellement la plus grande menace pour la monarchie présidentielle qu’il veut assurer à sa famille. Même un succès modeste de la bande de Gaza, occupée par Israël et gouvernée par le Hamas, conduirait à renforcer le prestige des Frères musulmans et à affaiblir davantage Moubarak. A cette fin, les ingénieurs militaires états-uniens, qui furent déployés en 2008 pour aider à découvrir les tunnels palestiniens, oeuvrent sur la frontière de Gaza avec leurs collègues égyptiens pour construire un mur prétendument indestructible. Souterrain. Un mur construit sur un espace dur dans l’espoir d’empêcher que les contrebandiers ne creusent par dessous, mais il ne l’est que sur une certaine profondeur et une certaine largeur, en dessous et au-delà desquelles les contrebandiers pourront continuer leur technique, laquelle a déjà fait ses preuves comme les officiels israéliens de la sécurité l’ont eux-mêmes reconnus. Ou au moins jusqu’à ce qu’ils élaborent une nouvelle méthode pour franchir ce nouveau mur, ce qui est presque une certitude, les relations historiques entre occupation et résistance palestinienne évoluant de pair.

Peut-être que la technologie subversive que les Palestiniens utilisent souvent pour franchir le mur autour de Jérusalem-Est, à savoir l’échelle, pourrait être adaptée à un usage souterrain. Oui, une échelle souterraine peut parfaitement n’être pas moins fonctionnelle et pas plus absurde qu’un mur souterrain. (Ne voyez pas dans ce sarcasme une façon de minimiser le danger ou l’effort qu’implique le creusement de tunnels. Il s’agit d’un travail dangereux et difficile, comme tous les métiers dans la construction de tunnels, même dans les meilleures circonstances. A preuve, les morts pendant la construction du Big Dig [autoroute souterraine] de Boston, ou plus récemment, les mineurs de charbon en Virginie occidentale. Pointer le mur souterrain comme étant ridicule ne signifie pas qu’il ne soit pas également tragique.)

Le gouvernement israélien

Le siège aux frontières de la bande de Gaza et de la Cisjordanie a de nombreux liens directs, examinés ci-après, avec la militarisation et l’escalade à la frontière sud des Etats-Unis. Le siège partage aussi certaines analogies politiques avec l’expérience nord-américaine d’une politique frontalière oeuvrant contre des structures politiques et économiques existantes. C’est le cas notamment à la périphérie de Jérusalem-Est, à Sheikh Sa’ad.

Sheikh Sa’ad fait partie de la métropole urbaine attenante à Jérusalem-Est occupée mais se trouve à l’extérieur des limites de la ville, telles qu’elles furent fixées par Israël après la guerre des Six Jours en 1967. La politique de bouclages périodiques appliquée après 1991 a provoquée une détérioration grave de la qualité de vie des habitants de Sheikh Sa’ad, les conduisant en permanence à se resituer à l’intérieur de la ville autant qu’il leur était possible. Le secteur étant confronté à un dépeuplement presque total avec la construction du mur, la plupart des habitants choisissent si possible l’option Jérusalem-Est. La municipalité comme le gouvernement suivent une politique qui tente de limiter la présence démographique palestinienne ; la municipalité de Jérusalem poursuit d’ailleurs une politique depuis le début des années 70 visant à y garder une majorité juive de 72%.

Le racisme structurel anti-arabe à l’intérieur des frontières reconnues et non reconnues d’Israël a un problème avec la construction de la Barrière de Ségrégation dans toute la Cisjordanie, car celle-ci pousse à une migration palestinienne vers Israël. Selon la ministre de la Justice d’alors, Tzipi Livni : « Pas besoin d’être un génie pour voir que le tracé de la barrière aura des implications majeures sur notre future frontière ». Ainsi, ce mur, étrange par ses 763 kilomètres, est destiné en partie à situer de facto les frontières nationales et démographiques d’Israël, alors que, associé aux autres aspects de l’occupation, il pousse davantage les Palestiniens à se déplacer dans la direction contraire.

Le gouvernement états-unien

C’est de cette manière que le nationalisme ethnocentrique, travaillant à contre-courant de l’occupation, trouve sa ressemblance avec la politique économique néolibérale d’Amérique du Nord, le « libre échangisme ». Celui-ci incite à migrer vers les Etats-Unis depuis le Mexique (et d’ailleurs) tandis qu’un racisme structurel anti-latino tente de maîtriser les frontières avec des murs, des drones, des détecteurs de mouvements, et des patrouilles. La barrière et le réseau de surveillance des Etats-Unis sont montés sur la frontière sud du pays, pièces maîtresses du SBI (Initiative pour une frontière sécurisée) destinées à filtrer les populations grâce aux Accords de libre échange nord-américains par lesquels marchandises et capitaux peuvent circuler librement circuler, alors que les personnes se trouvent confrontées à un obstacle physique imposant.

Etant donné que les immigrants du Mexique et d’Amérique centrale sont montrés comme un péril brun apportant la drogue et le crime, et en outre comme « changeant le caractère » de la nation, de telles fortifications à la frontière sont d’une importance capitale pour les politiciens des Etats-Unis (comme en témoigne la rhétorique populiste des politiciens de l’Arizona en défendant les nouvelles lois Juan Crow, qui ne font pas que légaliser mais exigent aussi un profil racial). La référence à la sécurité nationale – assimilant les réfugiés économiques aux pirates de l’air du 11 Septembre – vient en dernière partie de la doctrine politique du mur sur la frontière. Autant le racisme aux Etats-Unis s’oppose à une immigration par la frontière sud, autant le pays est fervent partisan de la politique néolibérale de privatisations, de dérégulations et d’austérité gouvernementale, qui constitue la principale cause de l’immigration clandestine.

Par exemple, le secteur alimentaire propriété de l’Etat mexicain achetait dans le passé son maïs aux agriculteurs locaux, à des prix élevés, pour en faire des tortillas qu’il vendait à bas prix, grâce à des subventions, dans les villes. La politique économique néolibérale, appliquée sous la pression des Etats-Unis, du FMI et de la Banque mondiale, porta un coup fatal à ces dépenses qui soutenaient les revenus ruraux. Les droits de douane qui, auparavant, empêchaient l’arrivée en masse du maïs subventionné américain sur le marché mexicain furent supprimés, avec comme résultats, la baisse des sommes versées aux agriculteurs mexicains, la hausse des prix et la concurrence du maïs bon marché [par subventions] des USA. Et l’effondrement qui en résulta pour de nombreuses économies agricoles rurales déclancha une nouvelle vague de migration vers le nord.

Le gouvernement mexicain

Ces politiques économiques voulaient aussi privatiser les activités sous contrôle de l’Etat, telles que les mines de Cananea, dans le nord de la province du Sonora. Quand le géant Grupo México mit la main sur ces mines, des centaines d’emplois furent perdus et un effort concerté fut engagé pour écraser le syndicat des mineurs. Devant les efforts du syndicat pour résister aux suppressions d’emplois et aux réductions des salaires, la police et l’armée ouvrit le feu, agressa physiquement et il y eut des confrontations. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles les élites du Mexique furent favorables à une frontière-passoire au nord, et à l’immigration ; quand le peuple doit faire face à une détérioration de la qualité de la vie et se voit contester le droit de s’y opposer, l’option émigration devient un mécanisme nécessaire de pacification. Cette même politique de mouvements vers le nord constitua également une menace pour l’élite politique et économique, avec la montée en puissance des cartels de la drogue, les stupéfiants passant en contrebande aux Etats-Unis, et les armes à partir du marché américain au Mexique.

Ce que les officiels mexicains appellent « Iron River » – le flux continuel d’armes venant du nord de la frontière – et qui permet aux cartels de dominer les forces de police elles-mêmes, chargées de le gérer avec eux de l’intérieur, et les profits incroyables du commerce de la drogue les aident à recruter du personnel de police et militaire sous payé pour « leur côté ». L’Ecole militaire de l’armée de terre US publia en mai 2009 un document appelant ce conflit, le « la narco-insurrection mexicaine » ; le document expose en détail les menaces qu’elle fait peser sur l’Etat mexicain. Et le 27 avril, la direction du Commandement Sud des Etats-Unis confia à des journalistes, « Ma plus grande préoccupation pour la région, ce n’est pas… une menace militaire conventionnelle. Ce sont les trafics illicites… la drogue, la traite d’êtres humains, les armes, l’argent en masse. »

Les milliers de morts de ce conflit déclanchèrent toujours plus de migration vers le nord mais aussi une détérioration accrue de l’image de l’Etat mexicain parmi les peuples, en raison de la corruption officielle de l’Etat et de son incapacité à enrayer la violence.

Pour inverser la tendance, le gouvernement mexicain s’est procuré des appareils volants sans pilote (UAV) auprès d’Israël. Ces drones ont été mis au point pour assurer, selon les modèles, la surveillance, la localisation et des tirs de missiles air/sol. La même plate-forme de drones qui est utilisée à la surveillance et à cibler les cartels – les Hermes, Skylark-I, Shystar 300 et Orbiter – est utilisée habituellement contre la bande de Gaza et la Cisjordanie, tant pour la surveillance que pour les frappes aériennes. Le gouvernement mexicain s’est lancé dans l’utilisation des UAV israéliens le long de sa frontière nord. Le bureau des douanes et de la protection des frontières américain (le CBP – Customs and Border Protection) a été le premier a utilisé des drones pour la surveillance des frontières, avec des Hermes en 2004, pour son initiative Arizona/Contrôle frontière.

Le fabricant des Hermes, des Skylark-I et des systèmes Elbit, est de plus concerné par la frontière US/Mexique du fait de sa participation au SBI (Initiative pour une frontière sécurisée). Elbit, qui est basé à Haïfa, est fournisseur de son système Long Range pour la reconnaissance et l’observation, combiné avec des drones dans ce projet, tout en fournissant les mêmes matériels et technologie pour la barrière de ségrégation d’Israël. La frontière US/Mexique réapparaît une fois encore en Israël et Palestine avec les ingénieurs égyptiens qui ont été envoyés aux Etats-Unis pendant l’opération Plomb durci (décembre 2008/janvier 2009), afin d’y être formés, sur la frontière sud, à la détection de tunnels.

De plus, en août 2009, Israël a envoyé des gens dans un laboratoire de géologie aux Etats-Unis pour rechercher une méthode de détection de tunnels qui pourrait répondre aux besoins de l’armée israélienne. Celle-ci a utilisé dans le passé une tactique qui venait des Etats-Unis, pour détecter au hasard les explosions en sous-sol. (Le fait qu’il y ait besoin d’une formation en détection des tunnels devrait soulever des questions quant à l’efficacité des murs pour la sécurité, alors que les gens, tant en Palestine qu’au Mexique, possèdent la « pelle », technologie qu’ils utilisent pour creuser dans le sol, y compris sous les murs, et qui est apparemment inconnue des appareils de sécurité américain et israélien.) Le scepticisme sur la perméabilité des « murs de sécurité » remonte d’ailleurs bien plus loin, comme l’épisode du Cheval de Troie dans la mythologie l’illustre bien.

Pour mieux préciser la boucle de rétroaction pour ces relations, on peut dire que :

1 – Le gouvernement égyptien déploie les produits du néolibéralisme nord-américain, sa politique anti-drogue et son racisme structurel sur sa frontière avec la Palestine pour consolider le régime Moubarak en entravant le Hamas et en perpétuant son soutien aux Etats-Unis.

2 – Le gouvernement des Etats-Unis déploie les produits de l’occupation [israélienne] sur sa frontière avec le Mexique pour appuyer le racisme structurel et interdire les marchandises de contrebande, notamment la drogue et les armes.

3 – Le gouvernement mexicain déploie les produits de l’occupation le long de sa frontière avec les Etats-Unis pour renforcer son pouvoir en s’en prenant aux cartels de la drogue qui le menacent, et pour interdire la contrebande d’armes en provenance des Etats-Unis.

4 – Le gouvernement israélien déploie les produits du néolibéralisme nord-américain, sa politique anti-drogue et son racisme structurel pour renforcer l’occupation et l’apartheid contre les Palestiniens.

Les frontières des causes

Il s’agit dans le fond d’un réseau désordonné et désorganisé qui, par morceaux et souvent maladroitement, produit des outils que d’autres acteurs vont déployer pour préserver leur statu quo. Il s’agit d’une industrie de pacification. Les connexions sont claires et profondes, que ces structures particulières de l’inégalité soient mondiales, dans le fond, importe peu sur la façon dont est décentralisée l’intention première.

Cela est vrai même si aucune des structures décrites n’est dépendante ou lancée par les autres, elles ne font que profiter de l’existence des autres structures de l’injustice. Le gouverneur du Texas, Rick Perry, a même fait des déclarations sur la façon dont l’expérience d’Israël serait utile. Il a déclaré au Jerusalem Post qu’une délégation du Texas s’était rendu en Israël en août dernier et avait « essayé de trouver les moyens de sécuriser cette frontière, car tout comme il est important pour les Israéliens de maintenir une sécurité élevée sur leur frontière avec Gaza, il est important pour les citoyens du Texas d’en finir avec les activités illégales en cours avec la drogue » (au Mexique).

Ces questions s’entrecroisent maintenant dans leurs structures et les agents pour le changement ne peuvent l’ignorer. (Si l’on considère ces échanges comme les produits d’une industrie de pacification, alors il y a un côté intéressant en ce que les Forces spéciales mexicaines, aussi bien que de nombreuses unités tactiques des forces de police, ont reçu de la police états-unienne ou israélienne, une formation pour l’antiterrorisme et la contre-insurrection, quelquefois les deux. Le cartel de Los Zetas – jusqu’à récemment exécuteurs pour un cartel – est formé d’anciennes forces spéciales et d’unités tactiques de police qui ont changé de camp. L’industrie de la pacification a aussi ses externalités !)

L’histoire des militants qui agissent à travers la frontière Mexique/USA est longue et pleine d’efforts remarquables. Des travailleurs des mines et des chemins de fer mexicains, des deux côtés de la frontière, conduits par les frères Magon, ont déclanché une insurrection contre le « Roi du cuivre » de Cananea, dans ce qui s’est avéré être le précurseur de la révolution mexicaine. Les efforts ultérieurs des salariés dans le sud-ouest américain et le nord du Mexique, par les mineurs et d’autres, furent appuyés par des délégations envoyant de l’aide dans les deux directions.

S’organiser au-delà des frontières nationales, de nos jours, n’est pas rare, spécialement dans les domaines de l’environnement et de la globalisation, mais s’organiser à travers ce qui est perçu comme les frontières des causes, est malheureusement assez rare. Les frontières sont idéalement des infrastructures de connectivité qui créent une zone de transition entre des peuples et des cultures. Ici, il est question d’une situation où une occupation militaire, le néolibéralisme, une politique anti-drogue, une dictature et le racisme où tous s’entrecroisent, se chevauchent et se renforcent. Les militants doivent être prêts à réfléchir à propos des frontières entre les causes comme ces zones de connectivité, et il existe un excellent endroit pour le faire, dans le paysage riche de la frontière Palestine/Mexique.

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